Créatif pour innover – Partie 2

Créatif pour innover – Partie 2

Créatif pour innover - Article

Créatif pour innover

Le terreau culturel

(Suite de l’article)

Nous avons vu que, désormais, l’innovation nécessite une démarche collective qui appelle de chacun des acteurs la conscience de son rôle et la volonté d’animer sa propre créativité alors même que celle-ci relève de mécanismes mentaux qui échappent au bon vouloir.

Contentons-nous sur ce sujet de nous rappeler ces pensées célèbres : Henri Poincaré : « … au moment où je mettais le pied sur le marchepied, l’idée me vint, sans que rien de mes pensées antérieures parût m’y avoir préparé … », Albert Einstein : « L’intellect a peu à faire sur le chemin de la découverte. Un bond se produit dans la conscience, appelez-ça de l’intuition ou ce que vous voulez, et la solution vient à vous, et vous ne savez ni comment ni pourquoi « .

Si nous savons tous que les mécanismes mentaux qui gouvernent notre créativité relèvent de notre subconscient, encore faut-il ajouter ce que Howard Gardner (célèbre pour ses travaux sur l’éducation, cf wikipédia) nous dit : « il n’y a pas une forme unique de créativité »pour penser que notre façon d’être créatif relève vraisemblablement pour une large part de l’intimité de notre relation au monde. Et chacun sait dans son for intérieur ce qui favorise sa propre créativité.

Nous voilà parti bien loin … pas tout à fait si l’on considère que ce rapport au monde relève d’un mécanisme « d’apprentissage », lequel opère aussi parfois à notre insu en se nourrissant de nos liens à notre environnement ou milieu. Nous nous imprégnons de ce qui le constitue et le caractérise.

Aux sources de la créativité : la culture

C’est alors plus largement de « culture » qu’il s’agit au centre de laquelle se trouvent des valeurs, des méthodes, des coutumes, … ainsi qu’un ensemble de savoirs propres au milieu qui influent sur nos idées et nos comportements jusqu’à nous permettre de nous adapter, voire de les développer.

C’est le cas de la culture d’entreprise qui, au-delà des valeurs, normes, … comprend aussi la connaissance élargie de son domaine : branche d’activité et filière de produit.

L’acquisition d’un métier relève d’un apprentissage qui vise à acquérir des savoirs et savoir-faire. En nous les appropriant, ils deviennent des connaissances sur lesquelles repose une ou des compétences. Quant au développement de notre créativité, par-delà le métier, il procède aussi de la culture dont nous nous nourrissons.

Un musicien, un romancier, un peintre… mais aussi un scientifique, un technicien, un ingénieur, … et tous autres, étudient les œuvres que les personnages illustres de leur domaine ont produites et qui demeurent des sources d’inspiration d’autant plus riche qu’elles sont éclairées par l’histoire de leurs auteurs.

La culture (générale) comme somme des créations/innovations de l’Homme est aussi source de sa créativité car rien ne nait de rien (n’en déplaise à la notion d’Origine !).

Comme faculté humaine, l’expression de la créativité est transverse à tous les domaines de la pensée. Au-delà de la tautologie, la reconnaitre comme telle, c’est comprendre que les innovations (ou avancées scientifiques, techniques, technologiques, … voire même artistiques) dans un domaine d’activité peuvent être sources d’inspiration pour un autre domaine. Cela rejoint ainsi la notion de « pensée divergente » ou penser « out of the box », qui consiste à aller chercher « ailleurs » des idées ou bribes d’idées susceptibles d’enrichir une démarche de créativité en faisant abstraction de ses habitudes de penser : porter un autre regard, penser autrement.

La presse d’imprimeur, qui est une des innovations ayant abouti à la typographie, serait inspirée du pressoir vinicole (ce qui était une raison de plus pour situer l’invention à Strasbourg plutôt qu’à Mayence …, mais elle ne fût pas suffisante). Pareillement, les types ou caractères d’impression seraient issus de l’idée de la chevalière ou du sceau, … difficile de faire la part de la réalité et de la légende, mais cela illustre la nature des « échanges » qui peuvent exister entre domaines distincts et très éloignés en pratique.

S’imprégner de l’histoire des créations existantes

Les créations/innovations/inventions de tous types qui jalonnent l’Histoire, se présentent comme un riche terreau culturel propice à l’émergence et à la germination de nouvelles idées. Et il serait vain de vouloir définir un ordre d’intérêt lié à leur ancienneté. Les idées se recyclent. La planche à voile née au milieu des années 1960, innovation dite « incrémentale », résulte de l’association de la planche de surf et d’une voile marine, dont l’apparition se perd dans la nuit des temps. De même au début des années 1970, la voile est remplacée par le cerf-volant, qui serait une invention chinoise du IVème siècle avant JC, et cela donne le « kitsurf » ou planche aérotractée.

Mais au-delà de la connaissance de l’innovation elle-même, c’est-à-dire de la constitution du produit innovant, il s’agit d’appréhender ses tenants et aboutissants, de comprendre les différents ressorts qui ont amené un cerveau humain à produire spontanément « une synthèse créative ».

Cette approche est souvent difficile parce que leurs auteurs n’ont laissé que peu d’éléments, n’ayant pas nécessairement eux-mêmes eut conscience de ce qui a déterminé leurs idées, et, bien évidemment, le « pourquoi » n’étant pas alors au centre de leur préoccupation. Pour y parvenir il faut aussi souvent le recul du temps. Il s’agit d’un travail de recherche qui consiste donc à tenter de reconstituer leur contexte, « l’air du temps », à cerner à grands traits leur personnalité, pour tenter de saisir à la fois ce qui les a poussés à agir, et quelles créations présentes ou antérieures ont pu être influentes.

Il y a bien des domaines, trop conceptuels, où l’absence d’explication vulgarisée de la part du créateur rend la démarche impossible. Henri Poincaré est un des rares personnages à avoir écrit sur les circonstances dans lesquelles les idées lui venaient, mais il a emporté avec lui les ressorts conceptuels de ses idées, enfermées dans la complexité de son univers mathématiques.

Pour autant bon nombre des créations, innovations ou inventions, procèdent d’idées simples et concrètes (des idées de génies !). C’est souvent leur mise en œuvre, leur transformation en produit innovant, c’est-à-dire en un produit diffusable, qui appelle travail, méthode, persévérance, et … financement.

Appréhender les ingrédients de l’alchimie qui a présidé à leur apparition est ainsi souvent possible avec plus ou moins de satisfaction. Ce qui est certain, c’est que le produit de la créativité ne « tombe pas du ciel », il a toujours une histoire.

La reconstitution de cette histoire est le plus souvent passionnante du fait de l’étendue et de la diversité des sujets de recherche qu’elle implique d’examiner. A cela s’ajoute parfois la nécessité d’élaborer des hypothèses pour combler les vides. Le piment de la conjecture rejoint alors le goût de l’aventure. C’est ainsi que certaines créations ont donné lieu à des travaux d’investigation très approfondies quant à leur génèse. Le cas de la typographie et de Gutenberg en est un exemple qui a occupé, et peut-être occupe toujours, de nombreux historiens de par le monde. Certains psychologues, comme Howard Gardner, se sont aussi penchés sur l’étude des personnalités des grands créateurs au travers de leur histoire personnelle pour tenter d’en saisir des traits caractéristiques.

En s’imprégnant des multiples exemples de genèses d’innovations éclairées par l’histoire de leurs auteurs, c’est non seulement un goût que l’on cultive en soi, une ouverture à d’autres domaines porteurs d’idées nouvelles, une stimulation de sa curiosité, mais c’est aussi une manière de capter la diversité des logiques sous-jacentes, plus diffuses, et de ce qui fait au fond « être créatif ».

Une volonté intrinsèque

De même que nous ne créons pas à partir de rien, nous ne pouvons évidemment pas prétendre créer sans avoir été saisi par un besoin, sans être en situation de devoir faire face à une attente, un défi, que ceux-ci viennent de notre environnement ou de nous-même.

Et le plus souvent c’est l’acteur qui « va chercher » le besoin ou la question dans son environnement par un trait de clairvoyance et d’observation affinée, qui donnent à voir une singularité jusque-là passée inaperçue (Alexander Fleming et la pénicilline, Percy Spencer et le four à micro-ondes, …).

Elle introduit alors dans la pensée une question nouvelle, ou une nouvelle façon de regarder les choses. Nait le désir de comprendre, de surmonter l’obstacle, le paradoxe, le défi, … d’apporter une réponse ou une solution à ce qui taraude l’esprit.

Lorsqu’il nous arrive de connaitre un tel élan nous savons que nous sommes sur la bonne voie, car il s’agit d’un préalable à toute démarche de créativité : une volonté intrinsèque qui pousse à agir.

Il arrive alors qu’une idée s’impose à notre conscience, souvent après un moment de « dépaysement » qui a permis au subconscient d’incuber comme le suggérait Henri Poincaré.

D’abord fragile, il faudra reconnaitre et accepter l’idée par une première validation in petto, puis la partager, convaincre, … se positionner dans une action collective qui permettra de développer l’idée in vitro, en la confrontant à une réalité dont les autres acteurs détiennent des parts.

Le professionnalisme de chacun des acteurs saura accueillir l’idée par une critique constructive qui permettra aussi de trancher sur sa viabilité. La persévérance le disputera alors à la lucidité jusqu’à leur nécessaire ralliement …

Faire entrer la créativité dans la culture d’entreprise

Sur le chemin de l’innovation, il existe de nombreuses « méthodes » qui, à la fois, guide la réflexion vers la nouveauté, et favorise l’échange productif et fécond entre les acteurs d’une même entreprise ou d’un même projet. Ces « méthodes » sont largement connues et accessibles, depuis le Brainstorming, le Mind Mapping, les Schémas Heuristiques, … Elles sont mises en œuvre dans le cadre du management de la créativité qui vise à innover en équipe. Bien qu’utiles, voire incontournables pour organiser un travail collectif, ce ne sont pas des « méthodes » à proprement parler, mais des outils mentaux qui guident le raisonnement de la pensée.

La mise en œuvre de ces outils stimule les réflexes créatifs des acteurs, ainsi que leur motivation, mais ne contribue pas directement à l’élargissement de leur connaissance qui doit se faire par ailleurs, par exemple par une démarche de veille technologique.

Une manière de faire entrer la créativité dans la culture d’entreprise, c’est certes de la pratiquer, mais c’est aussi de la montrer au travers de l’examen des productions des créateurs et de leur genèse, afin d’appréhender déterminants et facteurs d’influence. Il s’agit concrètement de communiquer sur les innovations passées pour s’en imprégner en montrant les voies et les contextes qui les ont inspirées et produites, en explicitant les ressorts qui ont agi sur leurs auteurs.

La créativité se développe sur son propre terreau !

Affaire à suivre …

Affaire à suivre…