La Nature, en bref : quelques repères pour la penser ?

Depuis la « nature des choses » jusqu’à la « nature humaine » en passant par « La Nature », le terme « nature » porte une richesse de sens[1] qui se déploie en de multiples acceptions qui ont en commun le fait de souligner l’essentialité de son objet.

En l’occurrence, l’étymologie latine du mot « nature » contient les idées de « naissance » et de « manière d’être ». Quant au terme grec qui désignait ce que l’on appelle « nature », il a donné le mot « physique[2] » avec l’idée de « souffle de vie ». Depuis, nous nous sommes rendus « comme maîtres et possesseurs de la nature » avec le développement de la Science.

Ainsi, ce qui est « naturel » a vocation à se métamorphoser sous l’effet de l’activité humaine, pour donner naissance à « l’artificiel » qui prend pied à son tour dans l’étendue de la condition humaine.

Depuis la nuit des temps, la nature (l’inné) et la culture (l’acquis) se partagent la « liberté d’être » d’un Homme toujours en quête de lui-même et de son devenir, quête à laquelle l’Humanisme a donné un sens que la réalité tend maintenant à lui confisquer. Les lumières de ses pensées ont annoncé le progrès de ses conditions de vie, que l’usage qu’il a fait pour cela de la matière interroge désormais. La nouveauté, en l’occurrence technologique, devient source de méfiance : quelle empreinte carbone ?

Les mots s’ajustent en de nouveaux sens sous l’étreinte du réel. L’espérance en des jours meilleurs se détache de la notion de progrès, laquelle pointe alors vers l’humanité. Désormais, la nouveauté s’appréhende au présent avec « l’innovation », laquelle doit amener un « progrès pour l’humanité ».

L’état de la planète[3] est préoccupant, et les dégradations et dérèglements qui affectent cette « nature-écosystème » auront un retentissement croissant sur l’ordre du village planétaire, déjà en proie à ses propres démons.

En effet, les conflits parsèment encore le monde, et la violence traverse toujours l’Homme par une négation paradoxale de la vie : « Fondamentalement, la violence, en tant que telle, en tant que phénomène « naturel », est toujours incomprise », alors que l’humaine nature pousse l’Homme à s’enrichir « Par le truchement de la pensée de l’autre, nous pouvons ouvrir les plis de la nôtre … donc améliorer notre compréhension de nous-mêmes et du monde, et de notre capacité à interagir avec ce dernier[4]».

L’existence humaine est aujourd’hui suspendue aux instabilités de son écosystème et de la mondialisation dont les effets des résonances mutuelles, entre pénuries et dépendances, se mesurent à l’aune des 7 milliards d’individus qui occupent la planète.

Les réalités du monde redéfinissent les contours de « la nature » en la réduisant d’abord aux ressources que le développement et le déploiement de la vie appellent, celles que le hasard des formations géologiques a distribué sur la Terre, et celles qui sont nécessairement partagées comme l’atmosphère, les océans et le climat. Mais il ne faudrait pas omettre les peuplements d’agents pathogènes « bactéries et virus », « coproprié-Terre », avec lesquels nous partageons l’aventure, et dont les manifestations inopinées aux risques pandémiques ont un fort potentiel désorganisateur[5].

Voilà 13,7 milliards d’années que la matière s’organise en produisant l’Histoire de l’univers durant laquelle la vie est apparue sur la Terre il y a près de 4 milliards d’années. Les continents que nous connaissons aujourd’hui n’en formaient qu’un seul il y a 300 millions d’années : la Pangée, recouvert d’immenses forêts, alimentant l’atmosphère d’une abondance d’oxygène qui favorisait le gigantisme des espèces animales qui le peuplaient. Puis, ce super continent s’est disloqué et les terres émergées connurent des climats différenciés en fonction de leur évolution à la surface du globe, entrainant une diversité de faune et de flore, une biodiversité. L’hominidé a pris conscience de lui-même il y a à peine 3 millions d’années, quant à homo sapiens il est apparu il y a 300 mille ans. Il a connu les dernières glaciations, avec des alternances de périodes froides et tempérées, jusqu’au dernier réchauffement du climat qui a débuté il y a environ 10 mille[6] ans. Homo sapiens s’est sédentarisé en développant l’agriculture et l’élevage pour se nourrir, et il s’est mis à sélectionner de manière empirique les espèces tant végétales qu’animales, pour augmenter les rendements agricoles et développer la domestication animale afin d’en exploiter l’énergie. Ainsi, bon nombre d’espèces que nous connaissons aujourd’hui sont les produits de la domestication par l’Homme : les sélections successives de riz, maïs, blé[7] …, comme les sélections qui ont donné le chien à partir du loup, la vache à partir de l’auroch... Pour le reste la nature demeure sauvage[8], riche de sa biodiversité néanmoins aujourd’hui menacée d’une nouvelle extinction. Tandis que le climat a continué d’évoluer de manière différentiée à la surface du globe : le Sahara s’est brutalement désertifié il y a près de 5000 ans, alors qu’il était recouvert de prairies et de fleuves. De nombreux sites archéologiques attestent d’un peuplement étendu depuis plusieurs dizaines de milliers d’années. Le changement brutal du climat aurait fait suite à des modifications de courants marins ayant entrainés des variations de températures dans les hautes latitudes de l’hémisphère nord… Cette hypothèse illustre la complexité des couplages, et de leurs effets, entre les océans et les continents.

Quoiqu’il en soit, cette incursion-éclair dans les profondeurs du temps nous révèle une « Nature » qui n’a de réalité qu’au regard de la dynamique de son évolution. Il s’agit d’un phénomène qui se déploie, et dont l’Histoire de la Terre en est la manifestation. Cette Histoire est celle des transformations géologiques lointaines, et, plus récemment, des modifications de la faune et de la flore pour lesquelles l’Homme a prêté main forte à la « sélection naturelle ». Il s’est interposé par la puissance de ses facultés cérébrales pour mettre la Nature à son service, selon une coévolution depuis la « Nature primitive » dont il s’est ainsi émancipé. Mais cette Histoire s’inscrit aussi dans celle de l’univers et de son processus organisationnel.

La matière aurait-elle produit l’Homme avec pour finalité de poursuivre son aventure organisatrice ? Ce serait une manière de lui attribuer une âme, c'est-à-dire un principe qui l’anime, doté d’une intention qui gouvernerait donc le comportement de l’Homme. Par la puissance de ses facultés, l’Homme est en capacité d’idéologiser[9] et de symboliser grâce à son imaginaire, pour produire du sens et comprendre, voire pour mieux supporter le poids de son existence. Les peintures pariétales, ou les mégalithes, comme Stonehenge[10], attestent de cette dimension spirituelle de la « nature humaine » qui, dès les premiers temps, a rencontré le Sacré. La perception du « Beau » dans la Nature, par son universalité[11], lui a ouvert la voie.

Les couleurs chatoyantes de la nature au soleil du petit matin, comme les reflets de lumière sur l’ondulation de l’eau, ou l’atmosphère feutrée et envoûtante d’un clair de lune, invitent à la contemplation en ouvrant à l’émerveillement, voire au recueillement. « L’émerveillement qui peut bien naître devant la splendeur [de la nature], … est avant tout l’impression d’autre chose, l’aperçu d’une profondeur d’être, un seuil, une porte qui s’entrebâille[12] ». L’œuvre d’Art nous met sur la voie d’un au-delà de soi dans le regard que nous portons sur le réel sensible. L’artiste met à notre portée sa dimension sublime comme « … l’écho de sa grandeur d’âme[13] ». Mais le langage des émotions, aux sources de la création, s’est laissé distancer par l’attrait des performances de la raison à répondre aux injonctions de la matière.

L’Homme est-il en dehors de la Nature ? Il se place en dehors de la Nature lorsqu’il en fait un objet qu’il place, par l’esprit, à distance de lui-même pour l’examiner. Et cet objet est, soit une partie observable, soit un « Tout » abstrait. L’Art (l’émotionnel) et la Science (le rationnel) se partagent la partie pour la magnifier ou la comprendre, tandis que le Tout s’offre davantage à la métaphysique pour laquelle la question de l’intelligibilité et du sens ne saurait faire abstraction de la présence de l’Homme. La partie est soumise à la « flèche du temps », alors que l’inaccessibilité du « Tout » tend à lui retirer toute temporalité jusqu’à lui accorder une transcendance.

La Nature habitée par l’Homme dans ses parties, apparait ainsi comme un phénomène dont Il connait les effets (l’Histoire) alors qu’Il cherche toujours à se soigner d’une cause première qui échappe encore à son entendement.

Si cette cause existe, à la fois commencement et finalité, alors le déterminisme préside au développement du phénomène. Mais, relativement à la Nature, quel est le statut d’une cause qui se situe en dehors de l’entendement ?

Si elle n’existe pas, alors l’Homme n’a d’interdits qu’en dehors des lois qui régissent la matière (en d’autres termes, il est matériellement limité au champ du physiquement possible), et le libre-arbitre accordé à son esprit le rend responsable de ses choix qui sont soumis à sa créativité. Mais cette créativité est aussi, voire directement, le produit de son rapport au monde, c'est-à-dire du regard qu’il porte à son environnement matériel et humain, dans ses dimensions sensible et intelligible. C’est avec le milieu culturel que l’Homme forge son regard, par les valeurs qu’il véhicule et qui transcendent la société dans laquelle il vit.

A ce stade s’ouvre le Grand Livre de l’Histoire de la pensée, dont les traces nous parlent de la complexité de la nature humaine, à la fois une et multiple, simple et diverse, immuable et mouvante, singulière et universelle, au travers de l’espace et du temps, au travers de l’espace et du temps, nature dont l’essence demeure insaisissable autrement qu’au travers du concept d’espèce. Et l’espèce humaine a peuplé la Terre en prenant possession de la Nature.

Aujourd’hui sa responsabilité est engagée dans la cause écologique, à dimension planétaire. Œuvrer pour préserver « la Nature », c’est œuvrer pour préserver la pérennité de l’espèce. En d’autres termes, c’est préserver les conditions d’accomplissement du phénomène « Nature » dans lequel s’inscrit l’évolution de l’espèce humaine. La richesse de la biodiversité est primordiale dans l’expression de ce phénomène.

À Aurore

 

La nature est tout ce qu’on voit,

Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.

Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,

Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,

Elle est bonne à celui qui l’aime,

Elle est juste quand on y croit

Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,

Embrasse la terre, elle t’aime.

La vérité c’est ce qu’on croit

En la nature c’est toi-même.

 

George Sand (Contes d’une grand-mère)

 



[1] Du latin « natura », qui signifie « manière d’être » à la fois essence et puissance, provient de « nascor » : « naître, advenir ».

[2] La « Phusis », que les Romains traduisirent par « natura », correspond à « la totalité des phénomènes »

[3] Rapports du GIEC et la succession des COP

[4] « VIOLENCE : NON – Les démocraties à l’épreuve de la liberté » - Jean-Luc Tinland

[5] Actualité du coronavirus dont on ne connait pas encore l’étendue de ses méfaits

[6] Epoque géologique dite de l’Holocène qui va de - 10000 ans jusqu’à nos jours

[7] Les graines de toutes les cultures vivrières de la planète sont conservées dans la « Réserve mondiale de semences du Svalbard » en Norvège 

[8] On compte environ 120 000 zones protégées dans le monde, soit de l’ordre de 15% de la surface terrestre

[9] De produire des idéologies, dans le sens premier de « système d’idées »

[10] Monument érigé près de 3000 ans avJC dans le sud de l’Angleterre

[11] « Le Beau est ce qui plait universellement sans concept » Emmanuel Kant

[12] « De l’émerveillement » Michael Edwards

[13] « Du sublime » Longin