Quand la société
contemporaine sonne à la porte de l’Art contemporain …
Résumé :
l’Histoire de l’Art est traversée d’un mouvement général de libération de la
pensée. Après le religieux, les codes de
l’Académie, le réalisme, les contraintes du réel et du sujet lui-même, arrive
le temps de se libérer de la matérialité du support et de marquer la rupture
avec la recherche d’esthétisme, ce que réalise l’Art contemporain. Le support
matériel de l’œuvre devient le point d’ancrage d’un discours provocateur et d’une
intention faisant de l’artiste aux prises avec son art, l’œuvre elle-même. Une œuvre
réservée aux initiés, à l’approche déroutante pour le spectateur habitué à trouver
dans l’esthétique de l’œuvre matière à rencontrer du sens. Alors se pose la
question de l’inanité de son rapport à la société …
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Les périodes artistiques s’inscrivent
et se succèdent dans le mouvement général de libération de la pensée qui
irrigue l’Histoire. La Renaissance, pour ce qu’elle représente d’ouverture de
la pensée et d’accès aux Savoirs, stimule le passage de l’Art religieux à la
période classique que le XVIIème siècle rendra académique. « L’Académie royale de peinture et de
sculpture » est créée sous Louis XIV dans le but de donner aux
artistes, encore largement artisans, l’accompagnement favorable au
développement de l’Art, notamment par l’enseignement « des règles de
l’Art et du bon goût », à la recherche du « Beau ». Cet élan
trouve son apogée au XIXème siècle avec le « Réalisme » (Gustave
Courbet), dont l’ambition de se saisir du réel est mise à mal par l’apparition
de la photographie, alors-même que naissait la volonté de s’émanciper des codes
prônés par l’Académie, et plus généralement de libérer l’artiste des restes de
son passé d’artisan au service de mécènes exigeants. Désormais l’artiste projette
dans son œuvre ses propres émotions et ressentis. Ce mouvement ne touche pas
seulement la peinture, mais aussi la littérature et le « Roman »,
notamment, décrit par Guy de Maupassant dans la préface de « Pierre et
Jean ». L’impressionnisme avec Claude Monet inaugurera l’Art Moderne
durant la seconde partie du XIXème siècle. Jusque-là confiné dans leur atelier
les artistes sortent pour aller à la rencontre du réel et de la nature, avec la
peinture qu’ils peuvent désormais emporter avec eux grâce à l’invention
anglaise du tube de peinture. C’est la lumière du jour, par ses multiples
reflets, qui fascinera Claude Monet jusqu’à être au centre de sa recherche
artistique par-delà son sujet, en témoigne « La série des
Cathédrales de Rouen ». L’Art commence à se démarquer de la seule
recherche du « Beau ». Le réel qui pèse encore trop sur l’œuvre,
l’artiste va tendre à s’en libérer par l’abstraction dès le XXème siècle, dans
lequel l’objectif n’est plus la seule recherche esthétique. L’artiste s’affranchi
alors de la réalité visuelle, de la perception authentique du sujet, et tente
d’en souligner les aspects qui heurtent sa sensibilité. Le Cubisme en sera une
des manifestations les plus emblématiques. Après la seconde guerre mondiale la
vie artistique reprend son cours, et la puissance des forces libératrices se
manifeste alors d’une manière inédite, après le religieux, les codes de
l’Académie, le réalisme, les contraintes du réel et du sujet lui-même, arrive
le temps de se libérer de la matérialité du support et de marquer la rupture
avec la recherche d’esthétisme. Avec l’Art contemporain, l’œuvre devient le
point d’ancrage d’une démarche artistique qui passe par le discours de
l’artiste tourné vers son rapport au monde et son regard sur la société dont il
entend dénoncer le fonctionnement. Dans cette optique, la recherche du « Beau »
devient une antithèse, car le message de l’artiste est conceptuel, et a besoin
d’être excentrique et transgressif pour être percutant, et provoquer de
multiples interrogations chez ceux qui lui accordent plus qu’un simple regard.
Alors le support matériel, où l’emploi de la matière se diversifie, n’est là
que pour révéler la réflexion et l’intention de l’artiste, elles-mêmes érigées
au rang « d’œuvre d’Art » par la large communication qu’il en fait. L’Art
contemporain se déploie ainsi dans un total rejet de tous les codes, de
l’impératif d’authenticité, de sincérité, de sérieux, … jusqu’au cynisme, à la
moquerie et à la dérision.
L’Artiste ne se refuse rien en
termes de distance qu’il prend comme expression de sa liberté. Alors, le
spectateur-observateur-penseur qui se laisse provoquer par l’œuvre-artiste,
sera conduit dans un univers déroutant, qui l'obligera "à voir les choses
autrement", à devenir lui-même créatif, à participer ainsi à l'œuvre, pour
y déceler cette part de la réalité que montre l’Artiste au-delà du support
matériel, et que ses yeux embués par la « bien-pensance et
l’esthétisme » ne lui permettaient pas de percevoir.
Ce vaste mouvement d’expression d’une pensée tendu vers
« la liberté » a traversé l’Histoire de l’Art en offrant
l’universalité du langage du « Beau » comme moyen d’accès au sens du
message de l’Artiste, et par l’instantanéité de l’émotion provoquée par un
simple regard.
L’Art contemporain est en rupture avec cette démarche, il est
perçu comme abscons et élitiste, voire ésotérique, et pour le moins
inaccessible au vulgum pecus.
D’une certaine manière, avec l’Art contemporain, le présent
de l’Art a déserté la vie sociale, il ne lui parle plus, alors même qu’il pouvait
avoir, entre autres, une fonction prophylactique.
L’Art que nous continuons d’apprécier aujourd’hui, et que
nous montrons au reste du monde n’a plus sa contemporanéité : c’est
« La Joconde », « Le Désespéré », « Le déjeuner sur
l’herbe », …voire « La Ronde de nuit » (Rembrandt, Amsterdam) ou
« Guernica » (Picasso, Madrid).
Alors que la société connait une crise de confiance
généralisée dans laquelle se banalisent les fake-news, l’infox, les fausses
nouvelles, y compris celles qui ne sont que des nouvelles périmées d’hier qui
provoquent l’indignation au présent, les procès, les dénonciations, … et autres
méfaits excentriques et décalés, on peut se poser la question du rôle de
l’artiste contemporain, tant dans le domaine de la peinture ou des arts
plastiques, que de la musique si son message reste inaudible, inaccessible et
réservé à quelques initiés qui en font un marché lucratif et captif.
Quand la société contemporaine sonne à
la porte de l’Art contemporain … celui-ci ne répond plus, il est sorti.
11 avril 2020