Le temps vient d’imploser …
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Face à la crise du covid19, à
sa fulgurance et son ampleur, chacun s’interroge sur « l’après »
avec, à la fois, l’intuition diffuse que le monde ne pourra pas revenir
« comme avant » tant l’impact apparait profond et universel, et le souhait
impérieux, justement, qu’il s’en écarte, que l’on évite l’ornière « du
passé » pour tenter de sauver la Nature des déséquilibres que nous lui
avons fait subir, et qui pourraient nous être fatals. Ce souhait, nourri de
cette intuition, prend la forme d’une espérance.
Nous venions pourtant de
confier le futur à la Science : des statistiques en tout genre, du big
data, de l’économétrie, … des modèles et de la prévision jusqu’à la prédiction,
avec laquelle l’idée d’espérance n’avait plus prise sur un avenir qui n’était
qu’affaire de rouages d’horloger. Au fond, une incarnation de l’Horloger cher à
Voltaire, qui avait fini par accorder à l’Homme les clés du hasard promises par
Descartes, pour « se rendre comme maître et possesseur de la Nature ».
« Le temps vient
d’imploser », anéantissant le passé et le futur, l’avant et l’après, dans
le présent d’une conscience qui a peine à émerger de la sidération qui a envahi
l’esprit devenu subitement docile au confinement. L’horloger a déserté son
œuvre en abandonnant l’Homme à soi-même, le collectif au particulier, le social
à l’individuel, l’universel au singulier, l’obligeant ainsi à puiser à la
source de son humanité : l’espérance.
Pour se mettre en mouvement
l’Homme a besoin de se projeter dans l’instant d’après, en faisant usage de son
imagination, de sa créativité, pour y concevoir un bénéfice de vie. Dans cette
dynamique incessante, l’espérance qui l’anime reflète l’incertitude qui pèse
sur sa réussite. La construction sociale permet de réduire cette incertitude
par la solidarité qu’elle produit et qui la fonde, au point d’oublier que cette
incertitude est consubstantielle de l’espèce qui ne connait que la « sélection
naturelle ».
Dans le creuset du collectif
l’espérance sauve la vie de ses douleurs par le sens qu’elle leur donne en
forme de croyance ou d’idéologie, depuis les voies du salut offertes par les
religions jusqu’aux promesses du « progrès » qui ont irrigué les
trente glorieuses.
Le mot « crise »
est apparu avec le premier choc pétrolier, en même temps que se renforçait
l’idée d’un salut du monde par la technologie. Le doute a peu à peu rongé
l’espérance qu’avait fait naître l’idée-même de « progrès », sous les
coups du chômage, de la précarité et d’une paupérisation rampante. « On n’arrête
pas le progrès » pouvait traduire à la fois la reconnaissance
d’une perte de contrôle et le refus d’en cautionner des effets devenus
suspects. L’enthousiasme avait place à la méfiance.
La réalité ne rendait plus
compte d’un progrès des conditions de vie, tandis que le futur, sous le
contrôle de la Science, ne permettait plus d’interroger la magie de l’espérance
qui jadis irriguait le présent. Simultanément, les idéologies s’asséchèrent, et
celle que portait le « progrès » laissa sa place à l’idée
« d’innovation », chère à Schumpeter. Elle traduit la rencontre de la
nouveauté dans le présent de la vie, et porte l’avenir de l’entreprise aux
prises avec son écosystème.
Par ailleurs, le dérèglement
climatique nous a rappelé quelques réalités. Le socle de biodiversité sur
lequel nous sommes assis vacille, en même temps que les ressources, en premier
lieu le pétrole dont l’exploitation a conduit à lui porter atteinte,
s’épuisent. Il y a là un potentiel de convergence de solutions, qui pour une
fois nous écarterait d’un paradoxe paralysant si le troisième élément,
nous-mêmes, n’avions pas forgé nos vies dans le déni de ces réalités, pourtant
prévisibles et prévues. Un changement de cap inéluctable s’amorce.
Durant les toutes dernières
années, l’idée « d’innovation » que livre l’Histoire, connait un
glissement sémantique qui lui accorde à nouveau un rôle tourné vers le futur,
pour construire l’économie « verte » d’un développement durable à
venir, tant au niveau national (Le Conseil de l'innovation [est] chargé de piloter les
investissements du Fonds pour l’innovation et l’industrie et de définir les
grandes orientations et les priorités de la politique de l’innovation
française), qu’européen (L’Union de l’innovation est l’une des sept initiatives phares de
la stratégie Europe 2020 pour une économie intelligente, durable et
ouverte), en se focalisant notamment sur les énergies renouvelables
et le domaine du digital.
La créativité qui préside à
l’innovation s’oriente alors vers ce qui peut apporter un « progrès pour
l’humanité », tandis que s’affirme au niveau des Institutions le
rôle social et sociétal de l’entreprise (La RSE - Responsabilité Sociétale des Entreprises : « un vrai
levier pour l’innovation et la performance », et, « L’innovation,
moteur du progrès humain » - L’OMPI – Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle - et les objectifs de développement durable).
Alors survînt covid19 et son
cortège dramatique. Le monde est à l’arrêt, rivé sur son présent.
La prochaine question
pourrait être celle concernant les ressorts à activer au niveau des
particuliers et de l’entreprise pour « une remise en route de l’économie
mondiale dans la bonne direction ».
Mais cette question anodine
a-t-elle un sens ? Qu’est-ce que « la bonne direction ? ».
La question rejoint immédiatement celle du sens de l’existence que l’on ose à
peine aborder en cercle fermé d’entre-soi, tant elle débouche sur un
kaléidoscope de pensées à la mesure des productions philosophiques de la
planète. Pourtant chacun sait depuis Sénèque « qu’il n’y a point de vent favorable à celui qui ne sait
dans quel port il veut arriver ».
Alors sommes-nous condamnés à
errer dans l’univers, sur notre vaisseau Terre, sans port ni amer ?
Il est très probable que nous
aurons besoin de la philosophie, parce que dans une « économie circulaire
de la pensée » c’est un passage obligé, mais il apparaît vraisemblable
qu’il ne faille pas y voir le commencement de la réflexion.
Avant d’être et de donner
sens à l’existence, il faut avoir… avoir la santé. Les vœux que nous formulons
à cet égard pour nos proches lorsque l’occasion se présente, traduisent autant
de marques de courtoisie que de défis lancés à la fatalité qui œuvre dans le
destin de chacun.
Mais covid19 nous rappelle
que nos comportements individuels et collectifs peuvent se substituer au destin
avec un déterminisme implacable et macabre dans le présent d’une
« pandémie ». Il révèle subitement la profondeur des évidences
abandonnées à la banalité, comme justement la prééminence de la santé, le rôle
de l’hygiène, le besoin d’une nourriture saine du corps et de l’esprit… ainsi
que la valeur du temps et de la vie.
Il convient donc de discerner
la vie de chacun du contexte offert à son épanouissement. En d’autres termes,
distinguer l’individuel du collectif, au sein d’une relation qui acte
l’intimité de leur lien. Ici débute l’Histoire de la Chose Politique, et fini
le propos général esquissé sur « l’après ».
Le relais doit être passé au
« bon sens pratique » qui permet de tirer les leçons du présent pour
poursuivre une route que les besoins impérieux du collectif écartent des
arcanes de la métaphysique qui peut éclairer les âmes en peine. La pérennité du
collectif se nourri d’organisation, et, cette dernière, de règles de
comportement individuel. Cette logique banale achoppe lorsqu‘elle rencontre
l’espace des libertés qui, a priori, honnissent l’idée de règles.
Cependant, le présent de
l’actuel confinement et de son large respect immédiat, nous révèlent comment
ces deux notions peuvent se départir de leur antinomie en nous montrant
l’essentiel : la préservation de la vie de chacun.
Nous retrouvons là ce qui a
fait l’Histoire depuis la nuit des temps. La virulence de la crise sanitaire agit,
plus particulièrement, comme un révélateur de l’image du Roi charitable qui a
traversé l’Histoire de France depuis Clovis : le « Roi
nourricier », protecteur de ses sujets, qui reposait sur « l’expression
de la foi et la bonne conduite politique ». Le pouvoir royal
émanait de Dieu. La religion qui irriguait la vie sociale, cimentait le peuple
acquit à l’usage de l’espérance comme remède aux lourdeurs de la vie. L’image
du Roi y pourvoyait.
Par « l’implosion du
temps » cet éclair d’Histoire illumine notre présent. Il produit du sens
avec la nature et la portée du besoin du collectif qu’il ravive, c'est-à-dire
de l’Etat, puissance publique protectrice des individus-citoyens. Le vent de la
mondialisation et l’effet de la compétition internationale, semble avoir dévoyé
sa mission première et fondamentale qui doit faire naître en chacun le
sentiment de « protection » - devenu Etat-providence - qui
répond au besoin « d’espérance » inhérent à la nature humaine.
Observons, enfin, qu’au-delà
de leurs effets, un parallèle peut être établi entre l’élan vers la Science
pour aider à gérer la situation présente, et le recours à Dieu pour surmonter
les pandémies du passé. Si cela trouve sa logique dans la lecture de
l’Histoire, nous pouvons aussi prendre conscience que la Science est en passe
de trouver un nouveau statut et une place nouvelle dans l’inconscient
collectif, et dans l’organisation et le fonctionnement de la société. L’effet
covid19 renforce la tendance amorcée avec le dérèglement climatique et les
pénuries de ressources à venir, dont chacun s’accorde à penser que la
compréhension des phénomènes passe par une approche scientifique, tandis que
l’orchestration de la réponse relève des Institutions.
Souhaitons donc que le recul
et l’acquis historique nous épargnent d’une nouvelle « querelle des
investitures » qui a opposé au XIème siècle le pouvoir temporel au
pouvoir spirituel. Politique et Science sont sur des registres distincts, mais
dont l’actualité nous montre qu’il n’est pas inutile de le rappeler.
Désormais, bâtir un
« après », c'est-à-dire un futur en forme d’avenir pour l’Homme qui
ne se traduise pas seulement par des points de PIB. L’avenir doit s’inscrire
dans la recherche de progrès pour l’humanité, avec tout ce que cela comporte de
diversité d’appréciation, car au fond cette diversité est un des fondements de
la richesse humaine, à l’image de ce qu’est la biodiversité tout aussi
essentielle à notre existence. Nous allons devoir puiser aux sources d’une
nouvelle espérance naissante, afin de mobiliser nos ressources de créativité,
ainsi que les forces vives du collectif au profit de l’innovation. Cela se fera
avec d’autant plus d’efficacité, et d'enthousiasme, que la « puissance
publique » se parera, dans l’inconscient collectif, de l’image ancestrale
de « la puissance protectrice » des individus-citoyens, en accordant
à la Science sa juste place.