Le temps vient d’imploser …

 

Résumé : La pandémie covid19 plonge le monde dans une situation inédite. Cela signifie notamment que l’expérience du passé n’est plus opérante et que la visibilité acquise par la Science sur le futur s’est évanouie. Le temps a implosé dans le présent d’une situation déstabilisante. Chacun ressent à la fois un besoin de protection et d’espérance. La figure du « roi nourricier », protecteur de ses sujets, réapparait comme une condition pour raviver les forces vives de créativité que la nature a placé en l’Homme.      L’Etat-providence au secours de l’entreprise et de l’innovation.

************

Face à la crise du covid19, à sa fulgurance et son ampleur, chacun s’interroge sur « l’après » avec, à la fois, l’intuition diffuse que le monde ne pourra pas revenir « comme avant » tant l’impact apparait profond et universel, et le souhait impérieux, justement, qu’il s’en écarte, que l’on évite l’ornière « du passé » pour tenter de sauver la Nature des déséquilibres que nous lui avons fait subir, et qui pourraient nous être fatals. Ce souhait, nourri de cette intuition, prend la forme d’une espérance.

 

Nous venions pourtant de confier le futur à la Science : des statistiques en tout genre, du big data, de l’économétrie, … des modèles et de la prévision jusqu’à la prédiction, avec laquelle l’idée d’espérance n’avait plus prise sur un avenir qui n’était qu’affaire de rouages d’horloger. Au fond, une incarnation de l’Horloger cher à Voltaire, qui avait fini par accorder à l’Homme les clés du hasard promises par Descartes, pour « se rendre comme maître et possesseur de la Nature ».

 

« Le temps vient d’imploser », anéantissant le passé et le futur, l’avant et l’après, dans le présent d’une conscience qui a peine à émerger de la sidération qui a envahi l’esprit devenu subitement docile au confinement. L’horloger a déserté son œuvre en abandonnant l’Homme à soi-même, le collectif au particulier, le social à l’individuel, l’universel au singulier, l’obligeant ainsi à puiser à la source de son humanité : l’espérance.  

 

Pour se mettre en mouvement l’Homme a besoin de se projeter dans l’instant d’après, en faisant usage de son imagination, de sa créativité, pour y concevoir un bénéfice de vie. Dans cette dynamique incessante, l’espérance qui l’anime reflète l’incertitude qui pèse sur sa réussite. La construction sociale permet de réduire cette incertitude par la solidarité qu’elle produit et qui la fonde, au point d’oublier que cette incertitude est consubstantielle de l’espèce qui ne connait que la « sélection naturelle ».  

Dans le creuset du collectif l’espérance sauve la vie de ses douleurs par le sens qu’elle leur donne en forme de croyance ou d’idéologie, depuis les voies du salut offertes par les religions jusqu’aux promesses du « progrès » qui ont irrigué les trente glorieuses.

 

Le mot « crise » est apparu avec le premier choc pétrolier, en même temps que se renforçait l’idée d’un salut du monde par la technologie. Le doute a peu à peu rongé l’espérance qu’avait fait naître l’idée-même de « progrès », sous les coups du chômage, de la précarité et d’une paupérisation rampante. « On n’arrête pas le progrès » pouvait traduire à la fois la reconnaissance d’une perte de contrôle et le refus d’en cautionner des effets devenus suspects. L’enthousiasme avait place à la méfiance.

 

La réalité ne rendait plus compte d’un progrès des conditions de vie, tandis que le futur, sous le contrôle de la Science, ne permettait plus d’interroger la magie de l’espérance qui jadis irriguait le présent. Simultanément, les idéologies s’asséchèrent, et celle que portait le « progrès » laissa sa place à l’idée « d’innovation », chère à Schumpeter. Elle traduit la rencontre de la nouveauté dans le présent de la vie, et porte l’avenir de l’entreprise aux prises avec son écosystème.

 

Par ailleurs, le dérèglement climatique nous a rappelé quelques réalités. Le socle de biodiversité sur lequel nous sommes assis vacille, en même temps que les ressources, en premier lieu le pétrole dont l’exploitation a conduit à lui porter atteinte, s’épuisent. Il y a là un potentiel de convergence de solutions, qui pour une fois nous écarterait d’un paradoxe paralysant si le troisième élément, nous-mêmes, n’avions pas forgé nos vies dans le déni de ces réalités, pourtant prévisibles et prévues. Un changement de cap inéluctable s’amorce.

 

Durant les toutes dernières années, l’idée « d’innovation » que livre l’Histoire, connait un glissement sémantique qui lui accorde à nouveau un rôle tourné vers le futur, pour construire l’économie « verte » d’un développement durable à venir, tant au niveau national (Le Conseil de l'innovation [est] chargé de piloter les investissements du Fonds pour l’innovation et l’industrie et de définir les grandes orientations et les priorités de la politique de l’innovation française), qu’européen (L’Union de l’innovation est l’une des sept initiatives phares de la stratégie Europe 2020 pour une économie intelligente, durable et ouverte), en se focalisant notamment sur les énergies renouvelables et le domaine du digital.

 

La créativité qui préside à l’innovation s’oriente alors vers ce qui peut apporter un « progrès pour l’humanité », tandis que s’affirme au niveau des Institutions le rôle social et sociétal de l’entreprise (La RSE - Responsabilité Sociétale des Entreprises : « un vrai levier pour l’innovation et la performance », et, « L’innovation, moteur du progrès humain » - L’OMPI – Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle - et les objectifs de développement durable).

 

Alors survînt covid19 et son cortège dramatique. Le monde est à l’arrêt, rivé sur son présent.

La prochaine question pourrait être celle concernant les ressorts à activer au niveau des particuliers et de l’entreprise pour « une remise en route de l’économie mondiale dans la bonne direction ».

Mais cette question anodine a-t-elle un sens ? Qu’est-ce que « la bonne direction ? ». La question rejoint immédiatement celle du sens de l’existence que l’on ose à peine aborder en cercle fermé d’entre-soi, tant elle débouche sur un kaléidoscope de pensées à la mesure des productions philosophiques de la planète. Pourtant chacun sait depuis Sénèque « qu’il n’y a point de vent favorable à celui qui ne sait dans quel port il veut arriver ».

 

Alors sommes-nous condamnés à errer dans l’univers, sur notre vaisseau Terre, sans port ni amer ?

Il est très probable que nous aurons besoin de la philosophie, parce que dans une « économie circulaire de la pensée » c’est un passage obligé, mais il apparaît vraisemblable qu’il ne faille pas y voir le commencement de la réflexion.

 

Avant d’être et de donner sens à l’existence, il faut avoir… avoir la santé. Les vœux que nous formulons à cet égard pour nos proches lorsque l’occasion se présente, traduisent autant de marques de courtoisie que de défis lancés à la fatalité qui œuvre dans le destin de chacun.

 

Mais covid19 nous rappelle que nos comportements individuels et collectifs peuvent se substituer au destin avec un déterminisme implacable et macabre dans le présent d’une « pandémie ». Il révèle subitement la profondeur des évidences abandonnées à la banalité, comme justement la prééminence de la santé, le rôle de l’hygiène, le besoin d’une nourriture saine du corps et de l’esprit… ainsi que la valeur du temps et de la vie.

 

Il convient donc de discerner la vie de chacun du contexte offert à son épanouissement. En d’autres termes, distinguer l’individuel du collectif, au sein d’une relation qui acte l’intimité de leur lien. Ici débute l’Histoire de la Chose Politique, et fini le propos général esquissé sur « l’après ».

 

Le relais doit être passé au « bon sens pratique » qui permet de tirer les leçons du présent pour poursuivre une route que les besoins impérieux du collectif écartent des arcanes de la métaphysique qui peut éclairer les âmes en peine. La pérennité du collectif se nourri d’organisation, et, cette dernière, de règles de comportement individuel. Cette logique banale achoppe lorsqu‘elle rencontre l’espace des libertés qui, a priori, honnissent l’idée de règles.

 

Cependant, le présent de l’actuel confinement et de son large respect immédiat, nous révèlent comment ces deux notions peuvent se départir de leur antinomie en nous montrant l’essentiel : la préservation de la vie de chacun.

 

Nous retrouvons là ce qui a fait l’Histoire depuis la nuit des temps. La virulence de la crise sanitaire agit, plus particulièrement, comme un révélateur de l’image du Roi charitable qui a traversé l’Histoire de France depuis Clovis : le « Roi nourricier », protecteur de ses sujets, qui reposait sur « l’expression de la foi et la bonne conduite politique ». Le pouvoir royal émanait de Dieu. La religion qui irriguait la vie sociale, cimentait le peuple acquit à l’usage de l’espérance comme remède aux lourdeurs de la vie. L’image du Roi y pourvoyait.

Par « l’implosion du temps » cet éclair d’Histoire illumine notre présent. Il produit du sens avec la nature et la portée du besoin du collectif qu’il ravive, c'est-à-dire de l’Etat, puissance publique protectrice des individus-citoyens. Le vent de la mondialisation et l’effet de la compétition internationale, semble avoir dévoyé sa mission première et fondamentale qui doit faire naître en chacun le sentiment de « protection » - devenu Etat-providence - qui répond au besoin « d’espérance » inhérent à la nature humaine.

 

Observons, enfin, qu’au-delà de leurs effets, un parallèle peut être établi entre l’élan vers la Science pour aider à gérer la situation présente, et le recours à Dieu pour surmonter les pandémies du passé. Si cela trouve sa logique dans la lecture de l’Histoire, nous pouvons aussi prendre conscience que la Science est en passe de trouver un nouveau statut et une place nouvelle dans l’inconscient collectif, et dans l’organisation et le fonctionnement de la société. L’effet covid19 renforce la tendance amorcée avec le dérèglement climatique et les pénuries de ressources à venir, dont chacun s’accorde à penser que la compréhension des phénomènes passe par une approche scientifique, tandis que l’orchestration de la réponse relève des Institutions.

 

Souhaitons donc que le recul et l’acquis historique nous épargnent d’une nouvelle « querelle des investitures » qui a opposé au XIème siècle le pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Politique et Science sont sur des registres distincts, mais dont l’actualité nous montre qu’il n’est pas inutile de le rappeler.

 

Désormais, bâtir un « après », c'est-à-dire un futur en forme d’avenir pour l’Homme qui ne se traduise pas seulement par des points de PIB. L’avenir doit s’inscrire dans la recherche de progrès pour l’humanité, avec tout ce que cela comporte de diversité d’appréciation, car au fond cette diversité est un des fondements de la richesse humaine, à l’image de ce qu’est la biodiversité tout aussi essentielle à notre existence. Nous allons devoir puiser aux sources d’une nouvelle espérance naissante, afin de mobiliser nos ressources de créativité, ainsi que les forces vives du collectif au profit de l’innovation. Cela se fera avec d’autant plus d’efficacité, et d'enthousiasme, que la « puissance publique » se parera, dans l’inconscient collectif, de l’image ancestrale de « la puissance protectrice » des individus-citoyens, en accordant à la Science sa juste place.