Anthropologie entrepreneuriale et « monde d’après »

Nous voulons ici nous interroger sur l’entrepreneuriat comme phénomène qui se déploie dans le cours d’une vie humaine pour la projeter par l’action dans un environnement afin de le modifier.

Ce phénomène se manifeste à la sensibilité de ceux qui l’observent, et d’une manière singulière à celle de l’acteur-entrepreneur.

Comment penser et comprendre l’élan entrepreneurial en tant qu’activité de l’Homme.

La généralité de cette approche du phénomène et son niveau d’abstraction, suggèrent d’abord, à la fois, l’existence d’un commencement et d’une vocation.

Puis vient le support du phénomène, qui est un continuum constitué d’une « vie humaine » et d’un « environnement », à la fois distincts et interdépendants au sein d’une relation complexe de codéveloppement.

C’est par ce support qu’advient et se déploie le phénomène entrepreneurial qui se situe ainsi au-delà du support qu’il anime. Cela nous conduit à interroger ce continuum pour y déceler le germe de cette animation.

L’acteur-entrepreneur se verra sans cesse en train d’accorder les deux réalités constitutives de ce continuum, l’une étant sa vie intérieure, ses émotions, ses sentiments, et le flot des idées, des pensées et des images qui traversent son esprit, le tout convergeant en intuitions, l’autre étant ce que son environnement le fait être par les ressources et les perceptions que lui offrent l’espace et le temps, ce qu’il désigne généralement par sa vie. Accorder ces deux réalités et leur devenir, c’est faire des choix à l’aune de ses intuitions, si ce n’est de sa raison. C’est ainsi être conduit à s’interroger sur l’existence humaine et son sens à l’aune de la liberté d’être et d’avoir.

Si le phénomène entrepreneurial a besoin pour exister d’un commencement et d’une vocation, et que ceux-ci sont destinés à s’ancrer et se manifester dans un continuum de réalités qui interroge l’existence et son sens, alors l’entreprise est une « incarnation » dont il faut prendre toute la mesure, à la fois de la nature, humaine, et de la portée, collective. C’est ce qui fait que ce terme « entreprise » est polysémique en désignant à la fois « l’esprit » et la « chose » dont il prend possession pour se déployer.

Après le « quoi » vient le « comment » qui nous renvoie au processus mental par lequel le phénomène entrepreneurial advient en pointant vers la créativité de l’acteur-entrepreneur. L’entrepreneur est un créateur dans le sens où il tire sa création du néant de ses pensées dans un mouvement qui, pour partie, échappe à sa conscience, et qui va du travail de préparation à la vérification du résultat, en passant par les phases d’incubation et d’intuition créatrice essentiellement dominées par son inconscient.

Le travail d’harmonisation qu’effectue chacun de nous pour s’accorder à chaque instant des particularités de son environnement offre à l’esprit créateur le terreau de ses intuitions qui trouvent à rencontrer le réel en prenant la forme d’un projet. Ce « commencement » est à la fois volition et émergence chez l’acteur d’une motivation intrinsèque qui porte en elle la vocation du phénomène engendré.

Ce projet prend une forme entrepreneuriale dès lors que la finalité des activités qui le sous-tendent est la création de valeur, c'est-à-dire la capacité à perdurer par lui-même grâce à une autonomie organisationnelle et un échange de ressources et produits avec l’environnement ramené à son écosystème. La matérialité du monde place dans la notion de valeur simultanément la richesse (le capital) et l’emploi (le travail).

Dès lors ce projet est « création d’entreprise », et résulte de la nature du regard que son créateur, acteur-entrepreneur, porte à son environnement.

L’entrepreneuriat est alors affaire de « regard sur le monde », et celui-ci n’a de sens qu’au travers des valeurs (culturelles) de la société dans laquelle l’entrepreneur est à la fois consommateur et acteur, ce qui place l’entreprise à l’articulation entre la société et l’économie.

Dans cette approche l’entrepreneuriat est à l’origine de la vie collective, ce qui a pu être un facteur déterminant de la sédentarisation de l’Homme au néolithique, dont la valeur « travail » était à considérer au travers du « capital social » que pouvait représenter l’émergence du sentiment collectif, et de ses effets, notamment en termes de survie. Les bénéfices humains ont pris le pas sur les pertes. Le présent en atteste par le niveau de développement (toujours imparfait, et aux critères d’évaluation discutables … ) de l’humanité, qui a valeur de patrimoine, en nous montrant toutefois le poids de la dette contractée auprès de la nature par les désordres engendrés sur le climat et l’épuisement à venir de ses ressources.

L’entrepreneuriat est donc intimement lié à la collectivité nourrie des valeurs qui la traversent, et n’a de sens que dans sa participation, via l’entreprise, à la développer pour en assurer la pérennité.

C’est ainsi la notion d’échange qui est convoquée, dont la pratique, qui remonte à la nuit des temps, avait sûrement trouvée à se manifester et à se multiplier avec la sédentarisation. C’est à l’échange que l’on doit le besoin d’enregistrer au-delà de la mémoire humaine les modalités d’une transaction, ce qui a contribué à faire naître l’écriture au IVème millénaire avJC en Mésopotamie. La monnaie en tant que telle n’existait pas. C’étaient des biens dont la valeur était mutuellement reconnue qui assuraient compensation jusqu’à l’invention de l’objet qui a concrétisé un concept et une valeur, celui de « monnaie » d’échange, par les Grecs au VIIème siècle avJC.

Pendant longtemps l’activité « économique » a été faite de rapines, avec l’expansion et la domination spatiale comme seul moteur pour accaparer des richesses (le butin), sans lesquelles guettait le risque de dislocation des structures de pouvoir qui réglaient la vie sociale (l’effondrement de l’Empire Romain -476 apJC - en est un exemple emblématique selon la théorie dite de « l’effondrement budgétaire », et l’affaire du « vase de Soissons » - 486 apJC, un autre). La production de valeur-richesse pouvant engendrer un capital, était inexistante. Le moyen âge a vu se développer les grandes foires, multipliant les échanges, et apparaitre la notion de « marché » (l’invention de la « lettre de change » est attribuée au Templier au XIIème siècle ; la comptabilité à partie double est apparue à Venise à la fin du XVème siècle). Mais ce n’est qu’au XVIIIème siècle que l’accumulation du capital a pu faire décoller ce qui est devenu la Révolution industrielle, la rencontre fertile entre le génie scientifique et technique, et les structures naissantes d’une économie capitaliste, c'est-à-dire d’une activité pouvant se projeter dans l’espace-temps grâce à l’accumulation du capital. Le « travail des hommes » (Adam Smith et « La richesse des nations ») crée de la valeur par des gains de productivité, et le profit qui en est tiré permet de dégager du capital. Alors le capital investi peut être rémunéré, à la mesure, notamment, de la prise de risque qu’il appelle, et la spirale de la croissance est amorcée.

Depuis la pierre taillée, qui était en elle-même une création et le produit d’un projet (comme mise en œuvre d’activités productrices préalablement conçues), l’Homme n’a cessé d’exercer sa créativité pour répondre aux besoins que font naître les nécessités de la vie, ou par simple goût pour l’ingéniosité et l’inventivité. Il n’a cessé d’innover dans tous les domaines de l’activité humaine, pour forger la matière, canaliser l’énergie, ou organiser les flux d’information. Dans le creusé de l’économie marchande, l’innovation a acquis le statut central de créatrice de croissance, et donc d’emplois, en même temps qu’elle peut, par ses « ruptures », en détruire (Joseph Schumpeter et la « destruction créatrice »). L’innovation de rupture change radicalement le rapport de l’usager au produit en créant un avantage concurrentiel pour l’entreprise source de valeur pour le client.

L’entrepreneuriat est donc adossé à une « chaîne de valeur » qui constitue le processus de création de valeur pour le client et de marges pour l’entreprise, grâce à un avantage concurrentiel sur le marché, issu du produit lui-même, de ce qu’il présente d’innovation, de son attrait, et/ou d’un effort de productivité qui rend le prix attractif pour le client. Pour en terminer avec le continuum entreprise-économie dont l’articulation s’ancre concrètement dans le bilan financier de l’entreprise, on peut ajouter que la chaine de valeur est à l’actif ce que l’entrepreneuriat est au passif.

Ainsi se distinguent, d’une part, le processus producteur de valeur qui a pour finalité de dégager du profit pour assurer la pérennité de l’entreprise, et d’autre part, le phénomène entrepreneurial, qui procède d’un « regard sur le monde » (voire d’une vision) avec pour vocation de subvenir aux besoins de la collectivité.

Tandis que la gestion d’entreprise est davantage affaire de compétences, l’entrepreneuriat, pour ce qu’il représente dans la création d’entreprise, appelle plutôt « la fibre », c'est-à-dire la capacité de l’entrepreneur-créateur à trouver dans sa vocation d’être utile à la collectivité, matière à accepter le risque inhérent à son projet, voire à surmonter l’échec le cas échéant.

« Peser les risques est probablement nécessaire, être pris par un projet, être porté par lui et entrevoir le bonheur de le réaliser nous place bien au-dessus. » Abdénour Aïnséba, PDG d’IT Partner

A ce stade c’est la philosophie, comme fondement de l’action humaine, qui est convoquée pour éclairer ce que peut être la « vocation » de l’entrepreneur, en l’occurrence confronté au « monde d’après ». Vers quel horizon son regard doit-il se tourner ?

La covid 19 nous a appris au moins deux choses : 1/que nous savions et que nous n’avons pas été en mesure d’en tenir compte pour nous préserver, 2/que le monde se construit selon des finalités qui ne sont pas favorables à sa pérennité.

« Le premier concerne les atteintes à la biosphère, dont le réchauffement climatique, qui exercera d’ici 2025 des effets encore difficiles à mesurer sur l’équilibre des zones polaires, le niveau des océans, la géographie des migrations humaines, la sécurité alimentaire, et l’extension des aires de répartition de certaines maladies. La propagation des agents microbiens semble devoir s’accélérer. » Livre blanc 2007 page 25

Cette situation a néanmoins quelque chose de rassurant, notre lucidité collective, et la performance de nos capacités prédictives malgré l’élévation du niveau d’incertitude. Alors, pour raviver et entretenir la vocation entrepreneuriale, fil rouge de l’humanité, vers quoi pourrait-il se tourner ?

Dans son chapitre VI, le Livre Blanc place la Chartes des Nations Unis comme « … référence fondamentale du droit international … ». Dans son Préambule cette Chartes des Nations Unis stipule dans ses résolutions : « à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ».

 

Fernand Maillet

 

http://creatif-pour-innover.fr/